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Déc
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Suite française

suite.jpgRoman d’Irène Némirovsky aux éditions Gallimard (collection Folio) . 2004

Bien sûr il y a la petite histoire autour de ce roman (ces romans) conservé(s) pendant des années par la fille d’ Irène Némirovsky et qui ne sera exhumé que tardivement pour connaître le succès littéraire qu’on sait, couronné du prix Renaudot. Mais plus que tout c’est la qualité littéraire du texte lui-même qui emporte le lecteur dans la débacle de juin 40 puis dans les âmes incertaines des villageois d’un coin de France occupé par le vainqueur allemand.

Deux parties donc pour ou deux romans joints qui gagnent peu à peu le lecteur, le ferrent et ne le lâchent plus jusqu’à la fin. Dans « Tempête en juin », Irène Némirovsky nous jette sur les routes de France au milieu de la cohorte de réfugiés qui tentent d’échapper à l’assaut brutal de l’armée allemande. Que l’on soit bourgeois ou prolétaire, c’est la peur et l’instinct de survie qui règne en maître mais les uns plus que les autres savent s’adapter aux situations d’exception. Triste tableau que ces « nobles » privés de leurs domestiques qui sont désemparés quand on n’est plus à leur service et quand l’argent (le maître étalon de leur vie jusqu’ici sans anicroche) ne parvient plus à les maintenir à flot. Des portraits au vitriol, une plongée impudique dans les âmes sombres d’un peuple aux abois : le récit tient en haleine et laisse remonter au gré des pages tournées, des effluves nauséabondes que l’histoire revisitée de la libération a bien gommé. On reste pantois devant tant de cynisme, tant de veulerie…on se dit qu’on aurait pas voulu y être parmi ces réfugiés et on se prend à se demander : comment nous serions-nous comportés ? La force du roman, c’est aussi d’interroger le lecteur de notre époque sur la capacité des hommes à revenir rapidement à la bestialité voire la monstruosité dans des période de grande incertitude, quand tout repère est effacé, quand les pires instincts ressurgissent pour survivre.

La seconde partie (Dolce), nous donne à voir l’occupation proprement dite des armées allemandes dans un petit village de France. Une pléiade de personnages -allemand et français- donne chair à ce récit qui, parfaitement maîtrisé, fait ressentir au lecteur toutes les ambiguïté de ce temps de l’occupation. Dans ce village de France occupée, les vainqueurs sont d’abord craints et redoutés mais ils ne laissent pas insensibles non plus avec leur jeunesse resplendissante dans leurs stricts uniformes. Ils sont vainqueurs et ils en imposent à ce peuple de vaincus qui les observe craintivement derrière les persiennes entrouvertes en ce chaud été 1940. Après les périls de juin, c’est presque un soulagement de voir les choses reprendre leur place et chacun s’accommode plus ou moins de la présence de ces hôtes imposés. L’auteur excelle à nous faire pénétrer dans les pensées des hommes et des femmes de l’époque en en révélant les réflexes de classe, en insistants sur leurs contradictions et leurs atermoiements magistralement rendus par les dialogues. Là encore, rien n’est simple et l’on ne peut porter de jugement sur l’un ou l’autre des personnages qui endossent les différents visages de français qui commencent (ou non) à s’habituer à vivre sous le joug de l’occupant. Certains sont intransigeant et résistent tant bien que mal (on songe à la nouvelle de Vercors), d’autres acceptent le nouvel ordre et l’on devine qu’il basculeront bientôt dans la collaboration, d’autres encore, découvrent dans l’ennemi, l’homme qui lui aussi éprouve des passions, des sentiments.

La troublante relation qui se noue entre l’officier allemand, Von Falk et Lucille Angellier met le doigt sur l’ambiguïté de ces situations où, au-delà des uniformes, des conventions et des haines, des esprits et des coeurs se rencontrent. En cet été 40, la répression n’était pas encore ominprésente mais l’on sent son emprise grandissante. Le récit d’Irène Némirovsky nous fait bien sentir que l’inéluctable est au bout de ces mots couchés sur le papier, cette histoire française à laquelle elle ne pourra mettre le mot fin.


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