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Les chaussons par la fenêtre

bour2.jpgRoman d’Elisabeth Bourgois aux éditions du Triomphe.

Un sujet délicat – l’IVG- qui demande beaucoup de talent pour l’aborder dans un roman destiné aux jeunes et suffisamment d’indépendance d’esprit pour ne pas « enfermer » les lecteurs et leur permettre d’exercer leur sens critique. Mais avant de parler du fond, voyons la forme. Le premier contact avec le roman est mitigé tant l’illustration est négligée. Un graphisme mièvre et enfantin, un titre peu accrocheur et très énigmatique, une première approche qui ne donne pas envie de se plonger dans le roman. Au bout de plusieurs paragraphes, on sait que l’on ne tient pas dans les mains un roman qui va nous séduire par la qualité de l’écriture. Le style est pesant, la succession de phrases sans rythme, l’écriture n’est pas un souci pour l’auteur qui reste concentrée sur le message a faire passer. Ce roman est un roman à thèse, il affiche clairement son argument principal : dénoncer l’IVG comme un crime qu’il faut refuser absolument. Tout est dès lors mis en oeuvre pour présenter l’IVG comme un acte criminel perpétré par des médecins qui ne devraient pas porter ce nom : « je ne suis pas bourreau mais médecin » dit Pierre, qui refuse de pratiquer des IVG en travaillant dans un servce de gynécologie. D’ailleurs E. Bourgois par l’intermédédiaire de ses personnages -trop caricaturaux à mon sens – va plus loin encore, faisant dire au même Pierre lors d’une discussion sur l’avortement : « le génocide des enfants mal formés est identique au grand génocide d’Hitler »(p.90). Comment employer une telle comparaison ? J’ai été heurté par cette phrase même si comme Justine , le personnage engagée dans la discussion, je dois témoigner moi aussi pour l’auteur « d’une réaction tellement banale basée sur des impressions primaires »(p.90). Voilà d’ailleurs la tactique de la romancière, dévaloriser les réactions et émotions des « opposants » à son opinion : « il fallait remettre le circuit en route »(p.34) fait-elle dire à Carole qui vient de subir une IVG. Je dis bien subir parce que je n’imagine pas qu’il soit de pur confort de pratiquer une telle opération pour une femme contraitrement à ce que laisserait entendre de tels propos. Mais pour E. Bourgois, il s’agit toujours de « femmes sans foi ni lois (p.117). La femme et sa place dans la société ont droit à un long développement par le truchement du personnage de Bon-Papa, ancien avocat, homme plein de sagesse et au seuil de sa vie dont l’opinion compte énormément dans le roman. On trouve donc de nombreuses lignes sur la dénonciation de cette société et d’un complot qui vise à faire disparaître la civilisation occidentale en « accouchant » de lois délétères qui pervertissent le rôle de la femme dans sa fonction de mère et de ciment social : « toutes ces lois pour protéger la femme, c’est faux » (p. 158). Pierre récapitule la pensée du sage : « Bon-Papa nous a démontré tout simplement, que nous étions des pantins manipulés par ceux qui voulaient mettre leur emprise sur notre société en valorisant la puissance de l’homme sur toute la création, en détruisant la cellule naturelle de la famille, par l’intermédiaire de la femme qui refuse les enfants. La société est alors déséquilibrée, car on met au summum de l’univers la puissance matérielle due à la seule intelligence de l’homme ! »(p. 223). Jean Casal légitime par son discours le refus de Pierre de pratiquer les IVG même s’il y est tenu par la Loi républicaine. Le medécin- hors la loi- apparaît alors comme un héros investit d’une mission : remettre dans le droit chemin ces femmes égarées qui s’apprêtent à tuer leur enfant. Le terme d’enfant n’est pas anodin, jamais E. Bourgois ne parle d’embryon ou de foetus, mais d’enfant pour bien marteler l’idée de crime : c’est là tout le discours des associations dites « pro-life ».

Le moins que l’on puisse dire, c’est que si le ton est clair, la stratégie mise en oeuvre est pernicieuse en ce qu’elle ne laisse pas au lecteur de marge de manoeuvre. Les choses sont évidentes pour la romancière, soit l’on pense comme elle, soit on est dans l’erreur et plutôt que d’amener à la réflexion les jeunes sur ce difficile sujet qui demande de s’informer beaucoup et de revisiter l’histoire de l’élaboration de la loi sur l’IVG, le roman élude ces questions et affirme une vérité. Ce roman , on l’a compris, me dérange en ce qu’il risque de donner à penser comme…, plutôt que d’inviter à s’interroger sur… Encore une fois, les personnages sont caricaturaux, les situations aussi (que dire du happy end de la naissance de l’enfant né avec une malformation cardiaque !), le discours est moralisateur au possible et culpabilisant. Certaines idées sont très contestables et risquent d’être prises pour argent comptant par des jeunes à l’esprit malléable. Je m’interroge sur la portée d’une phrase comme  » s’il y a autant d’homosexuels, c’est que la femme fait peur à certains hommes » dit Pierre, l’homosexualité résulterait donc d’un choix et l’être, c’est mettre en péril la société. On comprend que ce qui se dessine c’est l’image du Mal dès que les relations sexuelles ne sont pas strictement envisagées pour la procréation. L’acte d’amour est d’ailleur « diabolisé » dans l’épisode de la rencontre entre Nicolas et Laura. Cette dernière apparaissant comme la tentatrice, celle par qui la faute est commise. La façon dont cette rencontre est racontée par E. Bourgois est tellement caricaturale qu’elle décrédibilise au final le discours. Trop d’ingrédients pour finir qui me poussent à estimer ce livre inadapté pour le prescrire à des jeunes. Ce roman dénonce une volonté de manipulation, mais le « on » ne désigne évidemment personne. Je décèle par contre, dans cette écriture, une tentative de manipulation des esprits or ce n’est pas ce que l’on est en droit d’attendre d’un roman pour les jeunes.


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